Nouvel objectif // PV Niwa Ryutaro //

Le dimanche était sans doute la journée la plus calme à Kyôgaku. La plupart des élèves la passaient à dormir, d'autres à ne rien faire. Et certains comme Ryutaro profitaient de ce dépeuplement hebdomadaire pour travailler encore plus. Il fallait avouer que peu d'élèves avaient cette vision des choses. « La semaine est déjà bien assez longue pour la rallonger encore plus » disaient certains. Mais le travail de notre sportif était plus un passe-temps, voire même une passion plutôt qu'autre chose. Et il aimait tellement ça qu'il se levait un peu plus tôt chaque matin pour se faire quelques tours de stade histoire de se mettre en forme pour la journée. Il ne comptait d'ailleurs même plus le nombre de fois où il avait quitté l'école au levé du soleil, croisant des élèves à moitié morts essayant tant bien que mal d'émerger devant leur petit déjeuner. Certains le trouvaient courageux. D'autres le prenaient pour un fou, et il s'en contrefichait totalement. La course était un peu sa drogue, et il en était aujourd'hui dépendant.

Il était sept heures lorsqu'il posa les pieds par terre. Ryutaro ne dormait que très peu, mais ses quelques heures de sommeil semblaient suffire à ce qu'il tienne debout le reste de la journée. Comme à son habitude, il sauta dans sa douche, emmenant avec lui sa serviette et en ressorti cinq minutes plus tard les idées rafraîchies. Il enfila ensuite un débardeur blanc ainsi que le survêtement aux couleurs de son dortoir qui lui avait été donné au début de l'année scolaire. Il le portait à chacun de ses entraînements matinaux, d'abord parce qu'à cette heure ci de la journée la température n'était pas bien haute, et ensuite parce que lors des entraînements collectifs, le short était fortement conseillé. Avant de quitter sa chambre, il vérifia une dernière fois que sa bouteille était pleine avant de la placer dans son sac de sport où il gardait toutes ses petites affaires. Il jeta un rapide coup d'oeil à son colocataire qui roupillait encore profondément, puis il s'éclipsa enfin, ses crampons à la main.

Ryutaro avait pour habitude de courir léger. Rien dans les poches, rien dans la tête. Seules deux petites oreillettes étaient les bienvenues lors de ses entraînements. La musique était quelque chose d'important dans sa vie, tout comme l'athlétisme. Et combiner les deux donnait au final un mélange parfait. Les musiques classiques étaient sans doute celles qu'il préférait aux autres, ce qui n'était pas étonnant lorsqu'on le regardait bien. Il y retrouvait calme et sérénité, deux choses dont il avait particulièrement besoin. Cela faisait maintenant presque une heure qu'il courrait sans relâche et il ressentait une légère gêne dans la poitrine. Il s'autorisa alors une pause de quelques minutes, le temps de reprendre son souffle. Le soleil commençait à montrer le bout de son nez, et Ryutaro se trouva sans difficulté une zone d'ombre où il s'allongea à même le sol, les yeux plongés dans le ciel. Sa solitude lui plaisait. Mais elle ne tarda pas à s'envoler lorsqu'il entendit une voix masculine s'adresser à lui. Il se redressa alors.

« T'as déjà fait le marathon de Tokyo ? » interrogea une voix inconnu. « Jamais. répliqua Ryutaro avec un air méfiant. Mais je compte bien le faire cette année. Je m'entraîne dur pour ça. » continua-t-il presque naturellement. Quelle étrange façon d'approcher quelqu'un. Mais ça plaisait à notre coureur qui ne supportait pas ce blabla habituel du genre « bonjour, ça va ? Je suis untel. Ravi de faire ta connaissance. » Non, Ryutaro n'était ravi de faire la connaissance de personne - sauf exception. « Pourquoi cette question ? » interrogea-t-il, curieux de savoir ce que ce mystérieux inconnu pouvait bien lui vouloir.

Tout cela était vraiment étrange. Personne n'avait jamais abordé Ryutaro d'une telle façon. D'ailleurs, peu de gens l'avaient un jour abordé, et ce quelle qu'en soit la raison. Il fallait dire qu'à le regarder, il n'avait rien de quelqu'un d'ouvert avec qui on a envie de discuter pendant des heures. Avec lui, on avait plus souvent droit à un regard noir qui signifiait « qu'est ce que t'as à me regarder toi ? » qu'à un sourire à pleines dents du genre « soyons amis. » C'était sa façon à lui de faire comprendre aux autres qu'il était un être inaccessible. Ce type qui semblait manifester de l'intérêt pour lui l'intriguait et ne laissait rien présager de bon. Depuis qu'il avait été trompé, Ryutaro avait appris se méfier de tout et de tout le monde. Il fit alors mine d'être le plus naturel possible et poussa un peu plus la discussion, tout en gardant ses distances avec le principal intéressé. « Je pourrais. Mais je préfère être totalement au point avant de me lancer. Et le jour où je le courrais, je gagnerais. » assura-t-il.

L'ambition. C'était sans doute la plus grande qualité de Ryutaro. Devenir le meilleur était sa motivation principale et pour cela, il était prêt à tous les écraser un par un. Il était loin d'être quelqu'un de compatissant, et l'imaginer serrer la main à ceux qu'il venait de battre était mal le connaître. Pas de pitié pour les perdants. Telle était sa devise. Le marathon de Tokyo ? Il avait toujours rêvé de le courir. Et depuis qu'il avait vu Fujita Nao atteindre la première marche du podium après avoir tout donné pendant des heures de course, il s'était mis en tête de le remporter à son tour, et ça coûte que coûte. Il avait à peine neuf ans à cette époque. Aujourd'hui, il en avait dix-huit et était prêt à tout pour égaler son idole. Après tout, lui aussi avait droit à son heure de gloire non ?

« Tu me vois à Musume peut-être ? demanda-t-il avant de réaliser que le ton qu'il avait employé était peut-être trop agressif. Je ne sais pas dessiner, je ne joue d'aucun instrument et je n'ai pas l'âme théâtrale. L'athlétisme me plait. Tu m'as sans doute vu pendant les entraînements du club. » En à peine une minute, Ryutaro en avait dit plus à cet inconnu qu'il ne l'avait fait dans toute sa vie à ceux qu'il considérait comme ses amis. Il était d'ailleurs étonnant de le voir parler aussi ouvertement à quelqu'un qu'il connaissait à peine, lui qui était d'habitude si fermé au monde qui l'entourait. Sans doute pensait-il qu'il n'aurait plus jamais à lui parler, et c'était pour ça qu'il ne voulait pas lui laisser une mauvaise impression. Il avait déjà la réputation du méchant de service, et même s'il s'amusait de voir les regards appeurés des autres élèves face à lui, tout ça finissait par le lasser. Bizarrement, ce type ne semblait ni appeuré, ni impressionné, ni quoi que ce soit d'autre d'ailleurs, ce qui étonna Ryutaro qui s'était habitué à faire fuire les élèves qui l'approchaient. Mais puisque c'était ainsi, c'est lui qui fuirait. La course l'appelait et il n'avait pas de temps à perdre avec quelqu'un à qui il ne reparlait certainement pas à l'avenir. « Bon, je crois que je devrais reprendre l'entraînement » lança-t-il en se relevant avant de désigner la piste.

Sautillant sur place, Ryutaro s’apprêtait à reprendre l’entrainement. Il entreprit dans un premier temps de replacer ses oreillettes, ce qui lui permettrait dans un premier temps de retrouver calme et sérénité, et qui couvrirait dans un second temps cette voix qui lui hérissait le poil. Après quelques étirements, il s’élança enfin sur la piste et se replongea dans sa musique. Les violons de Roads résonnèrent alors dans son esprit, l’envahissant un peu plus à chaque seconde. Il s’agissait de l’un des morceaux phare de Portishead, un groupe de trip hop anglais plus ou moins connu que Ryutaro affectionnait tout particulièrement. En un rien de temps, son corps fût recouvert par une armée de frissons qui le glacèrent sur place. Il était comme un drogué à qui on venait d’injecter sa dose. Sa coke, son héro, c’était la musique. Et elle seule lui procurait cette sensation de bien-être qu’il ne retrouvait nulle part ailleurs.

Ryutaro se laissait bercer par la douce voix de Beth Gibbons lorsqu'une tape dans le dos le ramena à la réalité, l'obligeant à s'arrêter. D’abord étonné, il se débarrassa des mains posées sur ses épaules et se retourna pour faire face à celui qui venait de l’extirper de sa musique. Il s’empara alors de ses deux oreillettes, les retira contre sa volonté et écouta attentivement le discours qui lui était adressé. Il cerna sans difficultés le personnage : un sportif en manque d'adrénaline qui n'hésitait pas à balancer des défis à tout va pour prouver à tous qu'il était l'athlète à abattre, du moins c'est ce qu'il laissait paraître. Manque de pot pour le dit Yuki qui, sans le savoir, s'attaquait à plus fort que lui. « Je ne suis pas ton pote répliqua-t-il le regard méchant. Il marqua ensuite une pause et plissa légèrement les yeux avant de reprendre : Ne serais-tu pas en train de me provoquer ? Parce que si c'est le cas, je te conseille d'arrêter ça tout de suite. Il posa un doigt sur le torse de l'athlète et continua : Les types dans ton genre je les tiens à distance » finit-il en le repoussant de son doigt.

La provocation était une chose que Ryutaro connaissait relativement bien, et pour cause, c'était lui qui endossait le plus souvent le rôle du méchant provocateur et manipulateur. Il fallait dire qu'avec un regard comme le sien, il était difficile de l'imaginer autrement. Ses amis lui avaient d'ailleurs répété de nombreuses fois que cette arrogance ne lui apporterait rien de bon, mais lui s'en foutait, trouvant même des bons côtés à cette attitude qu'il avait depuis toujours. Il lui suffisait d'un regard pour faire comprendre à tous ceux qui seraient tenté de l'approcher qu'il vallait mieux faire comme s'il n'existait pas.

« Je ne te ferais pas le plaisir de m'abaisser devant toi. De nous deux, je suis sans aucun doute le meilleur espoir de ce club. » Ryutaro laissa passer quelques secondes, défiant son nouvel adversaire du regard. Il hésita puis fini par lâcher la phrase. Si tu veux mon avis, tu n'es certainement pas un élément indispensable » Il esquissa alors un sourire mauvais.