« Ichi, Ni... » {LiBRE}

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Le trou laissé dans le filet par le passage du ballon lui arracha un léger cri de surprise. Ses doigts se portèrent à ses oreilles pour retirer les écouteurs qui la privaient de son ouïe et elle s’avança vers l’endroit où avait disparu une silhouette maigrichonne qu’elle n’aurait jamais soupçonné avoir assez de force pour lancer la balle aussi loin et aussi fort.
A vrai dire, elle ne l’estimait pas capable de grand chose. Il n’avait que la peau sur les os et elle doutait que son corps contiennent ne serait-ce qu’un seul petit muscle. La seule chose qu’elle le croyait capable de faire, derrière ses longs cheveux sombres qui lui masquaient la vue, c’était de pousser à petites foulées son ballon sans se préoccuper des autres. Une impression pas très glorieuse mais que n’importe qui aurait eu en observant la première rencontre de l’adolescent avec le ballon. Après l’avoir faiblement laissé (et s’être laissé) tomber dans l’herbe, il s’était enfin décidé à accomplir l’exploit ô combien admirable et difficile que lui demandait l’entraîneur.
Face à cette mollesse d’esprit, Hisae n’en avait tiré qu’un sentiment ennuyé et avait vite détourné le regard de cet individu à l’aspect si douteux pour observer les autres jusqu’à ce que le ballon lui passe devant le nez à vive allure et traverse le filet des cages. Là, elle avait été stupéfaite de voir que le jeune homme ne s’était pas effondré, réduit en miettes, par la trop grande force que lui avait demandé cet acte. Son désintérêt royal pour l’individu s’était alors tari et elle avait rallumé la flamme de la curiosité qui flamboyait constamment au cœur de ses prunelles.

Silencieuse, elle s’approcha des cages, s’appuyant contre un poteau et laissant un sourire se peindre sur son visage alors que le jeune homme ressortait des buissons couvert d’égratignures et de feuilles. Si elle ne l’avait pas vu en action, jamais elle n’aurait accepté de croire que c’était lui qui avait laissé ce trou si voyant dans le filet. Sûrement qu’elle l’aurait, et à tort, considéré comme un simple ramasseur de balles, trop faible pour accomplir une quelconque autre tâche. Sa mauvaise manie de commencer par jauger les personnes sur leur physique la perdrait un jour.
Le jeune homme arborait toujours cette expression d’ennui profond et d’indifférence complète face à l’exploit qu’il venait d’accomplir. Etait-il trop narcissique et considérait-il cet acte comme banal ou n’en avait-il simplement rien à faire ? Dans les deux cas, il n’était pas le genre de personne vers lesquelles la demoiselle se dirige habituellement, mais il fallait croire qu’elle était capable de faire une exception… Même si elle doutait que ses paroles atteignent cet individu à l’air si renfermé.

« Joli tir ! »

Déclara-t-elle dans un sourire.
Elle se redressa rapidement et se rapprocha de lui, cherchant un instant son regard qu’elle ne trouva pas, ne distinguant que ses cheveux sombres qui lui en barraient l’accès. Un excès de timidité ? Quoiqu’il en soit, cela ne l’arrêta pas et elle fit sauter la balle des mains du jeune garçon pour s’amuser à la lancer en l’air et à la rattraper.
C’est en s’accordant une pause dans son nouveau jeu, peu soucieuse de savoir si elle le dérangeait ou non, qu’elle s’octroya de le droit de lui parler à nouveau.

« Je m’appelle Akitsuna. Akitsuna Hisae. »

Le ballon retourna frôler le ciel, avide de grandeur et guettant la proximité avec les hauteurs lui conférant, pour quelques secondes, l’illusion qu’elle possédait un quelconque pouvoir et qu’elle n’était pas livrée à la merci de tous ces pieds qui lui tapaient dedans chaque jour, la vieillissant avant l’heure. Elle retomba bien vite entre les mains de la jeune fille qui épousseta son jean sur lequel s’étaient accrochés quelques brins d’herbe volages avant de tirer sur son tee-shirt « I’m alive » qu’elle affectionnait par-dessus tout. Ses yeux, qui avaient un instant quittés le jeune homme, se reposèrent sur lui, plein d’une nouvelle assurance et ses lèvres gourmandes s’ouvrirent à nouveau.

« Tu pourrais être un peu plus fier de ton tir. Tu as l’air… Ennuyé. Comme si ce n’était pas important. »

Elle poussa un soupir et renvoya le ballon vers le hauteur, lui accordant à nouveau l’espoir de posséder la puissance d’écraser tous ces être humains qui le regardaient de haut. Cette action ne l’essoufflait pas. Elle n’avait pas encore eu à subir les conséquences du pitoyable état dans lequel se trouvait ses poumons et seulement deux crises étaient venues animer les quelques mois qu’elle avait passés au lycée.
Pour l’instant, tout se passait bien et la seule chose qu’elle redoutait était le coup de téléphone qu’elle passait à son père tous les soirs dans lequel elle avait à supporter ses jérémiades sans fin et ses supplications. Il désirait ardemment qu’elle revienne et elle ne s’y résoudrait qu’en dernière extrémité. Avoir à côtoyer à nouveau son exécrable demi-frère ne l’enchantait guère.
Elle aurait préféré que son père ne se remarie jamais, mais ce désir était aussi égoïste que paraissait l’être le jeune homme en face d’elle. Quelqu’un qui était incapable de se réjouir d’avoir accompli un exploit, certes minuscule, mais que sa condition physique ne laissait pas supposer, et qui ne laisser pas exploser sa joie était, pour elle, quelqu’un d’égoïste, ne comprenant pas l’importance d’une vie humaine. Quand l’on a qu’une seule vie à vivre, mieux vaut la vivre à fond, plutôt que de morfondre dans un ennui dépourvu de saveurs et de la moindre couleur.
L’ennui était gris et terne. Hisae faisait tout pour le maintenir loin d’elle et elle était plutôt fière de voir qu’elle s’en sortait assez bien quand on sait que l’adolescence est une période où chacun pense que sa vie ne vaut rien et envie les héros des séries télévisées.

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« Joli tir ! »

IkebayashiRei

Tu-peux-pas-t'en-aller-s'il-te-plaît-?

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Ikebayashi Rei… Ce nom lui disait vaguement quelque chose, mais le football n’était pas sa tasse de thé, ses connaissances sur le sujet étaient trop limitées pour qu‘elle soit sûre des doutes qu‘elle fondait à l‘égard du géniteur de son interlocuteur. Elle se souvenait de son père hurlant devant sa télévision, acclamant les joueurs et pépiant, en tout fan qu’il était, qu’il était fier de son équipe. Comme s’il en était l’entraîneur… ! N’importe quoi.
Pour Hisae, ce sport n’avait jamais représenté autre chose que des petits bonhommes courant sans cesse sur tout le terrain, ayant de temps à autre une balle devant leur pied, et essayant tant bien que mal de se frayer un passage parmi les autres. Elle n’en avait jamais vu l’utilité, mais elle reconnaissait s’être laissée prendre au jeu les rares fois où elle acceptait de regarder les matchs avec son père. Il n’y avait pas là de quoi sauter au plafond, mais ses cris avaient sûrement dérangé les voisins lorsqu’elle s’était laissée aller à insulter les équipes adversaires.

« Ah ! Rei-kun ! »

Déclara-t-elle, répétant le prénom du jeune homme dans un grand sourire. Sans ses excellentes oreilles, probablement que la jeune fille aurait été dans l’incapacité de deviner le nom du jeune homme tant ses murmures étaient bas. Lui faisait-elle peur ? Hisae ne se trouvait pas particulièrement effrayante, mais elle avait déjà eu à se confronter à des gens d’une extrême timidité que sa vivacité dérangeait plus que ne réconfortait. Peut-être que Rei était dans le même cas. Ce n’était, cependant, pas ce trait de caractère qui allait la faire flancher. Pour faire changer d’avis Akitsuna Hisae, il fallait plus qu’une voix à peine audible et une gêne atteignant son paroxysme.
A cet instant précis, elle voulait embêter ce Rei et rien ne saurait la défaire de son objectif. Pas qu’elle soit particulièrement sadique et perverse, l’adolescent l’amusait et l’intriguait juste assez pour qu’elle se soit mise cette idée en tête.

Le jeune homme daigna enfin lever la tête vers elle pour lui permettre de croiser, l’espace de quelques secondes, un regard vide de toute émotion, de toute impression. Un macchabée aurait eu meilleure allure et aurait peut-être témoigné plus de tendresse que lui. Pendant un instant, elle se demanda s’il possédait ne serait-ce que l’once d’un cerveau tant ses yeux paraissaient dénués du moindre sentiment. Si quelqu’un cherchait un exemple pour illustrer la définition du « rien », Hisae se ferait un plaisir de lui indiquer ce regard si déroutant qui l’ébranla dès la première rencontre.
Le ballon lui fut enlevé des mains et elle perdit son tout premier jeu par la même occasion puisque celui-ci s’éloigna d’elle, poussant du pied la balle et gagnant l’autre côté du terrain où elle vit la petite silhouette si squelettique s’effondrer sur elle-même pour tomber, une nouvelle fois, dans l’herbe. Cette affinité avec la végétation la laissait perplexe et amusée. Mais, comme il n’y avait pas vraiment de quoi rire de la situation, la demoiselle resta silencieuse, observant les deux mains qui lui paraissaient si frêles se saisir du ballon pour le propulser vers elle, celui-ci s’arrêtant à ses pieds.
Son regard oscilla entre l’étrange jeune homme et le ballon, essayant de focaliser son attention sur l’un des deux, mais elle n’eut, bientôt, plus aucune raison d’hésiter. Rei s’était relevé, s’accrochant à l’un des poteaux et avait jeté un coup d’œil dans sa direction. Elle avait entraperçu l’accablement qui l’avait saisi lorsqu’il avait découvert où se trouvait l’objet avec lequel il devait s’entraîner et se dirigeait, à présent, dans sa direction.
A priori, ça ne lui faisait pas particulièrement plaisir de se retrouver à nouveau face à la jeune fille, mais celle-ci ne s’embarrassa pas de cette timidité à présent si évidente… A moins qu’il ne s’agisse d’une frayeur réelle, pure et dure… ?
Dans tous les cas, elle ne comptait pas se laisser déstabiliser dès la première étrangeté. Le garçon représentait un intérêt non négligeable. Il possédait une personnalité qui différait de ces adolescents bourrés de phéromones, musclés de la pointe des orteils jusqu’à la racine des cheveux, et entourés de filles hystériques, essayant à tout prix de s’attirer les faveurs de leur « dieu ». Ce simple fait suffisait à faire en sorte qu’Hisae apprécie Rei, bien que ça n’ait pas l’air réciproque.

Elle amorça un geste pour ramasser le ballon à sa place, mais le jeune homme s’en empara avant de lui demander, dans un murmure si bas qu’elle eut du mal à l’entendre, de s’en aller. Là, elle ne se retint pas et éclata de rire, amusée par la situation.

« Pourquoi ? Je te fais peur peut-être ? »

Mais son hilarité se tarit bien vite pour laisser place à une mine songeuse.
Toute personne normalement constituée aurait déjà laissé le garçon tranquille. Autant de rejet émanant d’une seule et même personne ne pouvait que blesser, mais Hisae ne réagissait pas comme tout le monde. C’était ce qui faisait sa particularité.

« Mmh… Je veux bien accéder à ta requête, mais à une condition, que tu réussisses à me battre. »

La jeune fille s’approcha de lui, jouant avec la peur de Rei et, s’accrochant à son maillot, elle se hissa jusqu’à son oreille.

« Le premier qui réussit à marquer deux buts gagne. »

Elle se laissa retomber, reculant de trois pas et le détailla un instant.

« Tu demanderas à l’un de tes coéquipiers de défendre les cages et je ferai de même de mon côté. Ne t’inquiète pas pour l’entraîneur, je me charge de lui expliquer la situation. »

Un sourire malicieux se peignit sur son visage tandis qu’une flamme s’allumait dans son regard. Elle n’en avait pas encore fini.

« Bien évidemment, si tu perds, tu devras accepter de te plier à l’un de mes désirs. Tu es d’accord ?… A moins, bien sûr, que tu n’aies trop peur de moi et que tu ne préfères renoncer. Dans ce cas-là, sache que je ne te lâcherai plus, je te suivrai partout. »

Elle marqua une pause avant de reprendre, son sourire s‘élargissant alors qu‘arrivait la fin de sa menace en cas de refus de la proposition qu‘elle venait de lui faire.

« Partout et tout le temps. »

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« Pourquoi ? Je te fais peur peut-être ? »

« No..Non.. »

« D'accord. »

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Son défi avait été accepté et les choses sérieuses pouvaient commencer… « Sérieux ». Ce mot était inconnu de Hisae en-dehors des salles de classes. Elle avait une façon bien à elle d’envisager la vie, la voyant comme une immense loterie où le hasard régit chaque chose. Tout n’est qu’une question de chance et, du jour ou lendemain, l’on est à même de tout perdre comme de tout gagner.
En voyant les choses de cette façon, Hisae se doutait qu’il était fort possible que Rei puisse se découvrir un don pour le football et qu’elle ne se retrouve obligée de dire au revoir à sa nouvelle connaissance avant même d’avoir entamer une conversation un tant soit peu tangible.

Soupirant à cette idée et se rendant enfin compte de l’idiotie de son défi, elle observa le jeune homme s’emparer du ballon pour entamer les premiers tirs, au grand désarroi de la jeune fille qui priait à chaque fois pour que celui-ci rate la cage. Quelqu’un l’avait apparemment entendu.
Dès le deuxième tir, le ballon finit sa course dans les buissons vers lesquels elle se dirigea lentement, économisant ses poumons qui risquaient de hurler lorsqu’elle leur demanderait d’accomplir un effort qu’ils étaient incapables de fournir. Elle savait qu’en faisant ça elle allait à l’encontre de ce que lui prescrivait son père et, qu’un jour, sa folie des grandeurs la tuerait… Mais ce n’était pas le moment de s’apitoyer sur son sort. Elle avait mieux à faire que de surveiller sans cesse la progression de la maladie qui la rongeait de l’intérieur un peu plus chaque jour. Elle avait entamé ce duel depuis trop longtemps pour le perdre maintenant, et réussir à grappiller ne serait-ce que quelques années représentait une victoire des plus alléchantes.

En fouillant dans les buissons, elle finit par dénicher le ballon et le rapporta sur le terrain où Rei refusait de la regarder. Fronçant les sourcils, elle l’ignora également, boudant elle aussi, avant de poser le ballon au sol.
Fermant les yeux, elle recula autant qu’elle le pu et respira un grand coup ce qui lui arracha un tiraillement au niveau de ses poumons qui la fit grimacer. Elle occulta la douleur pour se concentrer sur la balle et s’élança.

Au fur et à mesure qu’elle avançait, elle sentait sa cage thoracique crier son mécontentement et un léger toussotement sortit de sa bouche. Courir n’était plus aussi facile qu’avant. Mais le ballon se rapprochait et elle pu enfin taper dedans, visant au mieux les buts, mais elle comprit bien vite que celui-ci ne les atteindrait jamais. Elle avait frappé trop fort et il décrivit un arc de cercle, passant au-dessus des cages pour aller se perdre derrière, retrouvant les buissons qu’il avait momentanément quitté. Elle soupira et partit à sa recherche.
Les buissons furent moins sympathiques que la première fois et elle écopa de quelques égratignures sur les bras. Se repositionnant, elle recommença sa manœuvre, courant aussi vite que possible et prenant soin de viser les cages. Son pied heurta le ballon et, cette fois, entra dans les buts pour la plus grande joie de la demoiselle qui afficha un grand sourire avant de se tourner vers Rei.

La vue du jeune homme lui fit perdre son sourire. Elle le remplaça par un autre, plus timide et plus réservé, tout en lui tendant le ballon.

« Un à zéro… »

Déclara-t-elle dans un murmure, essayant de ne pas attiser la colère du garçon, bien qu’elle doute que celui-ci soit capable de témoigner ne serait-ce qu’une once d’énervement.
Il lui manquait un but pour gagner et formuler l’un de ses désirs. Elle n’avait pas encore réfléchi à ce qu’elle comptait lui demander. Bah ! Elle verrait bien. Elle n’avait pas encore gagné.

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